récemment j’ai écrit des poèmes et j’ai pensé : c’est trop facile.
j’ai pensé : si c’est facile, c’est que ça ne doit pas être bon.
j’avais, tapissé dans le crâne en lettres capitales, ce mythe selon lequel tout bon artiste créé dans l’effort et la douleur : tout ce qui sort de lui doit lui être arraché.
il y avait ce mythe et il y avait ma réalité.
j’étais assise dans un train de banlieue et je retouchais un poème pianoté dans mon lit une heure plus tôt et la vie était la vie et si j’avais de la peine ce n’était surtout pas celle d’écrire, parce qu’écrire était un réconfort, un passage intérieur vers ce qu’il y a de mieux, de plus sûr en moi.
il y avait ce mythe du souffrir et il y avait ma réalité, celle du plaisir, la réalité de ce qui avait fini par devenir facile, avec laquelle je ne parvenais pas à faire la paix.
*
puis un jour quelqu’un m’a dit que cette facilité était la conséquence logique d’un long effort. des années à lire, à écrire, à développer un goût, une manière de donner forme, un pli. si ça devenait facile, c’est parce que je récoltais les fruits de mon travail : je ne devais pas en avoir honte.
cela n’impliquait pas que ma plume soit à présent figée dans son style ou dans un format, ni que je sois débarrassée de l’effort, mais simplement : l’acte d’écrire était plus naturel, les résultats plus rapides, évidents.
j’avais pris le pli.
j’écrivais et c’était plié d’avance — comment accepter cette idée ?
*
j’oublie les années où je n’avais pas cette aisance. où mon doute ne venait pas de ce que c’était trop évident, mais de ce que rien ne l’était.
j’avais cette soif d’écrire mais elle venait avec cette difficulté à discerner ma voix parmi celles des autres, à faire des choix : tout était possible et moi, qui j’étais dans cette immensité ? j’avais tous les livres à découvrir et seulement quand je les aurais mangés tous j’aurais le droit de me mettre au travail.
— je ne les ai pas tous mangés, il m’en reste une infinité et c’est tant mieux parce que depuis j’ai compris qu’écrire n’est pas un sport dans lequel me perfectionner, mais une cartographie au creux de laquelle me trouver, pour mieux continuer le voyage.
*
je continue à être mal à l’aise avec ce sentiment de facilité, à trouver prétentieux l’idée que j’ai pu trouver ma voix, alors que je n’ai aucun mal à penser ça des autres écrivain·e·s qui m’entourent.
comme si ce naturel de l’écriture ne pouvait m’appartenir parce que je me vois écrire, parce que c’est moi, parce que c’est moi avant les mots sur la page tandis que quand je lis quelqu’un d’autre, je ne rencontre que les mots, je ne dialogue qu’avec eux : je n’ai pas accès à la conscience qui les a fait naître.
il faut croire que c’est le lot de toute personne qui écrit, d’être (trop) consciente de son propre mécanisme d’écriture. alors, c’est un grand pouvoir que de se foutre la paix : cesser de juger les moyens de l’écriture en train de se faire, ne (re)garder que le résultat.
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avoir le courage et la naïveté de croire en ses propres mots, comme on croit aux mots des autres.
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J'écris toujours dans les moments de plaisir et de bien être.
C'est donc plus facile. J'aime quand le texte coule de source.
Alors, conforte-toi au contraire que c'est ce qui peut t'arriver de mieux.
C’est vrai, tu as raison de le souligner !